Le gouvernement de la Coalition Avenir Québec a déposé le 23 avril 2025 un nouveau projet de loi pour moderniser le régime forestier.
On parle ici du cadre collectif dans lequel l’industrie œuvre pour exploiter notre ressource naturelle forestière. Ce sont les règles et les pratiques qui régissent la coupe et la distribution. C’est le gardien de l’équilibre entre la préservation et l’exploitation.
Qu’est-ce qui pousse la ministre Blanchette Vézina à intervenir à ce moment-ci? Les tarifs américains? Sans nier que le conflit commercial et les risques de tarifs supplémentaires ont une incidence marquée sur l’industrie du bois, il serait réducteur de penser que cette modernisation y est totalement reliée. L’industrie demande plus de prévisibilité et de souplesse de la part de Québec. C’est ce que tente d’apporter la ministre avec sa réforme.
Réduction de la possibilité forestière
Dans les dernières années, la possibilité forestière en a pris pour son rhume. Trois principaux phénomènes récents ont aggravé la situation et créé un sentiment d’urgence pour modifier le régime forestier.
D’abord, les feux de forêt de 2023 ont été particulièrement difficiles pour l’industrie, et pires encore dans certaines régions. En une seule année, ce sont 5 millions d’hectares qui sont partis en fumée. Pour vous mettre en perspective, la moyenne des dix années précédentes se situait à 15 800 hectares…
Ensuite, la forêt québécoise continue de connaître une épidémie dont on parle peu dans les médias : la tordeuse de bourgeons de l’épinette, communément appelée « TBE ». Ce ravageur est présent dans pratiquement toutes les régions du Québec et fait mourir les arbres. Cela cause des pertes de volumes de bois à court terme et joue dans le calcul du Forestier en chef. Bien sûr, le gouvernement et l’industrie mettent en place des mesures pour freiner l’épidémie, comme l’arrosage et la coupe préventive, mais la situation continue de se détériorer. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2024, 14,3 millions d’hectares ont été affectés, contre 10,4 millions d’hectares en 2023, une hausse de 37,5%.
Finalement, comme société, nous désirons préserver de plus en plus de territoire et protéger des espèces emblématiques en créant de grandes réserves écologiques, notamment pour sauver le caribou forestier. Malheureusement, cela se fait au détriment de la possibilité forestière déjà hypothéquée.
Le statu quo n’était donc plus possible selon la ministre, et il devenait intenable de superposer ces différentes contraintes. De plus, la multiplication des usages en forêt est déjà extrêmement complexe. Chasseurs, acériculteurs, écologistes, forestiers, chacun occupe la forêt différemment. Le régime forestier actuel n’était plus adapté à la réalité d’aujourd’hui.
Prix du bois et rentabilité de l’industrie
Au-delà des facteurs ayant des impacts majeurs sur la possibilité forestière, des considérations économiques ont également contribué à la réflexion sur la refonte du régime forestier.
À ce titre, nous devons rappeler que plusieurs villages québécois sont encore mono-industriels et que l’industrie du bois représente le principal moteur économique dans plusieurs régions.
Le prix du bois et, plus largement, la rentabilité de l’industrie sont intrinsèquement liés à la vitalité économique des régions du Québec. Le prix du 1000 pieds mesure de planche, l’indicateur de prix consacré dans l’industrie, a atteint un niveau record en pandémie avec un prix de plus de 1 500 $US. Cependant, en janvier 2024, il était descendu à environ 575 $US. Ces fortes variations, combinées aux tarifs et à la volonté du gouvernement américain de se priver du bois canadien, n’apportent rien de bon aux perspectives dans les prochains mois.
Nous devons également nous souvenir qu’en 2013, la mise en place du Bureau de mise en marché des bois avait pour objectif de répondre aux critiques américaines de l’Organisation mondiale du commerce sur le manque de concurrence sur l’établissement des prix. Ce ne fut pas un grand succès et l’industrie est toujours soumise à des droits de douane de 14,5% sur les exportations de bois d’œuvre. Ce qui était au départ pensé comme une solution n’a pas livré les résultats attendus et est même devenu une partie du problème.
Considérations politiques
Il faut également inclure dans l’équation les pressions internes que subissent les membres du Conseil des ministres. L’industrie forestière est ancrée en Gaspésie, sur la Côte-Nord, dans le Nord-du-Québec, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, en Abitibi-Témiscamingue, dans le nord de la Mauricie et des Laurentides ainsi qu’en Outaouais. Tous des territoires représentés par des députés caquistes. En plus d’assurer une certaine cohésion dans son caucus, le gouvernement doit entretenir sa marque de commerce de gouvernement des régions pour compenser le manque de considération pour ces dernières dans le dernier budget. La mise sur pied d’une approche régionale de l’aménagement, la considération de l’acceptabilité sociale différente d’une région à l’autre et la nécessité de décentraliser les politiques publiques dans le domaine étaient fortement réclamées par les régions.
Une refonte nécessaire
L’écosystème forestier est mis à mal. Les entreprises réclament plus de flexibilité et de prévisibilité. Les scieries et l’ensemble de l’industrie voient depuis quelques années leur modèle d’affaires s’écrouler. Le régime actuel rend difficile l’amélioration de l’environnement d’affaires pour l’industrie et ne permet pas de répondre aux demandes de la population en termes de protection de la biodiversité. Comme société, il serait difficile, voire impossible, de se passer de ce secteur économique, pensons seulement à la pénurie de logements et aux besoins dans la construction.
Le gouvernement ouvre ainsi une nouvelle page de la gestion de nos forêts avec le dépôt du projet de loi 97.
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